Louis XIV, roi des réseaux sociaux

Durant son règne, Louis XIV organisa le pouvoir, son pouvoir, comme un maître. On serait même tenté de dire: un maître des réseaux sociaux. Osons le parallèle au risque de l’anachronisme.

Succédant à son père à 5 ans, en 1643, le jeune Louis Dieudonné reçut une solide éducation de futur souverain. Mazarin l’initie à la politique et aux affaires du Royaume; sa mère, Anne d’Autriche, à la dévotion; l’abbé Hardouin de Péréfixe se charge de l’éducation scolaire; la baronne de Beauvais le déniaise très officiellement; ses maîtres de dessin, de calligraphie, de guitare, d’équitation et d’escrime font de lui enfin un parfait gentilhomme.

Mais ce sont ses maîtres de danse qui lui inculquent la première grande passion de sa vie. Louis XIV est un danseur exceptionnel et c’est par ce biais qu’il commence à marquer, dès son plus jeune âge l’esprit de ses sujets. Le mouvement, la musique, le spectacle, la diffusion de ce spectacle: nous tenons là l’essence audiovisuelle de YouTube.

Le roi monte donc sur les planches et se fait remarquer par ses prestations. A 14 ans, il trouve sa story et son logo. Il sert sa gloire dans le rôle que la postérité fixera, celui de Roi-Soleil : c’est sa légendaire interprétation du Soleil dans le «Ballet de la Nuit», œuvre qui martèle le triomphe du Jour et du Soleil (interprété par Louis lui-même) sur la Nuit (la Fronde enfin vaincue). Le roi est jeune, le roi danse. Le roi est une véritable chaîne YouTube qui diffuse l’éclat de sa gloire rayonnante.

Lorsque Mazarin, son premier ministre, meurt le 9 mars 1661, le roi a 22 ans. Le lendemain, aux aurores, le monarque fait mander ses ministres. «Monsieur, dit-il en s’adressant au chancelier, jusqu’à présent, j’ai bien voulu laisser gouverner mes affaires par feu M. le cardinal; il est temps que je les gouverne moi-même… La face du théâtre change.»

Le dispositif que le roi mettra en place pour faire régner ce pouvoir absolu, pour neutraliser la cour et pour dompter les Grands porte un nom: Versailles. Un projet de longue haleine qui culmine en 1682, lorsque le roi ordonne à toute sa cour et à son gouvernement de venir s’y installer.

Il veut que tous les courtisans convergent vers cette plateforme unique où toute la cour, en temps réel, contemple, assiste, partage, commente, observe, épie selon une étiquette et des paramètres de confidentialité que Mark Zuckerberg et les ingénieurs de Facebook n’auraient pas reniés.

Car Versailles, c’est comme Facebook. Qui n’y est pas, qui ne s’y montre pas, qui n’y est pas vu, n’existe rapidement plus. Ce que cristallise la fameuse phrase du monarque: «Tiens, voilà quelqu’un que je ne vois jamais», manière de signer la disgrâce d’un courtisan qui aurait trop souvent boudé la plateforme.

Massée à Versailles, concentrée toute sous sa main dans un périmètre restreint, la cour fonctionne dans un hallucinatoire temps réel. Le cérémonial, extrêmement codifié, rend la vie du roi publique. Et donc partagée.

A travers ses groupes multiples, publics, privés, secrets; à travers son théâtre permanent, Versailles-Facebook réalise avant la lettre l’instantanéité, la capillarité, la complexité et la socialité partagées du réseau numérique.

La gloire du roi doit être continuellement scénarisée, communiquée, diffusée en mode entièrement public. C’est à quoi s’emploie une fine équipe de storytellers regroupés, à l’initiative de Colbert dans l’Académie royale des inscriptions et médailles. C’est elle qui est chargée de créer les formules brèves et marquantes qui diffusent en peu de signes la gloire du roi.

On parle ici des emblèmes et des devises, ces formules, gravées sur les médailles ou les frontons des monuments. Les plus emblématiques portant la fameuse devise du Roi-Soleil: «Nec pluribus impar», «Au-dessus de tous ».

Bref, la petite Académie, c’est en quelque sorte l’équipe Twitter du roi. c’est elle qui rédige les cartons laconiques qui décryptent les toiles monumentales que Le Brun peint pour la voûte de la galerie des Glaces et qui retracent la carrière du Grand Roi. Ces inscriptions donnent lieu à des querelles acharnées entre Anciens et Modernes. On renonce à les écrire en latin pour les rédiger en français. Première polémique. Puis on passe à la trappe les textes trop longs et trop pompeux pour les remplacer par le crépitement en moins de 140 signes que proposent… Racine et Boileau!

LAcadémie fait occuper également le terrain des images, des peintures, des portraits. Versailles, se transforme en salle du Trône et multiplie les représentations de figures illustres. Cette débauche iconographique fonctionne comme le compte Instagram de la royauté, constamment alimenté par la frénésie d’images du règne.

Il manquait encore à ce règne de s’illustrer dans le domaine du blog. C’est chose faite en 1709. Le 12 juin, rien ne va plus: l’Europe presque entière est coalisée contre la France dans la guerre de Succession d’Espagne. Les défaites s’accumulent pour la France exsangue. Louis prend la plume et lance un appel à la nation. Du jamais-vu, là aussi: un roi de France qui s’adresse à ses sujets pour leur expliquer la situation géopolitique, son désir de conclure la paix, la nécessité néanmoins de poursuivre la guerre et pour ce faire de donner un vigoureux coup de rein patriotique. Le texte est lu dans toutes les paroisses du royaume et contribue à cimenter la conscience nationale française…

Louis XIV sut, sa vie durant, surfer comme un virtuose absolu des réseaux sociaux. Réalisant pour le coup la devise du début de son règne: «nec pluribus impar», «à nul autre pareil!»

Article rédigé par Michel Danthe, publié le 15 septembre 2015 dans le magazine Le Temps.

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