7 juillet 1658 : Louis XIV la fausse mort du roi #2

Lire la première partie de l'article.

Mais pendant qu’on teste ce remède sur le souverain, au même moment, à Paris, on songe à une succession prématurée et au renvoi, par ricochet, du cardinal. Après les messes et les processions organisées partout pour obtenir du Ciel la guérison du roi, des Grands « malintentionnés » (c’est la formule utilisée par Colbert et Mazarin pour désigner ces proches du clan Retz) se liguent et préparent la succession. On se réunit, on complote, on songe même à placer le jeune Philippe – que certains appellent déjà « Sire » – sous l’influence d’une femme de caractère, tout en lisant des dépêches qui, en provenance de Bruxelles, annoncent que le roi est décédé mais que l’infâme Mazarin entend cacher la vérité. Certes, le cardinal a été excessivement rassurant dans les nouvelles qu’il a transmises autour de lui et Colbert s’est préparé au pire en commençant à cacher différents papiers, mais ce n’est rien en comparaison des nouvelles qui commencent à circuler dans les gazettes étrangères. L’une d’entre elles, datée du 7 juillet, explique qu’une ombre, un spectre terrifiant, serait apparue à Louis XIV et aurait provoqué la fièvre fatale. Comment survivre à pareil châtiment ? « […] le bruict court qu’il auroit rendu l’esprit depuis hier six heures du soir, qu’une demie heure devant il fist venir un père Carme proche son lict, qu’il en chargea très expressément de dire à la Reyne, sa mère, et au duc d’Anjou, son frère, que sa mort estoit un châtiment de Dieu, qu’il leur ordonnoit, pour le salut de son âme, de faire une paix avec la couronne d’Espagne […]. » On saisit parfaitement l’objectif de l’auteur anonyme de cette énième mazarinade : déstabiliser le pouvoir royal en faisant passer la mort du roi pour une punition divine et le signe d’un nécessaire revirement géopolitique.

De son côté, Mazarin va riposter en annonçant le rétablissement du malade, apparemment sans succès. Il récidive plus tard en faisant publier une lettre du premier médecin du roi, un document assez exceptionnel destiné à dissiper les rumeurs une fois pour toutes en certifiant que Louis XIV est bien vivant et qu’il est désormais hors de danger. Ce bref bulletin de santé rédigé et imprimé à Paris en toute hâte est daté du 16 juillet. Il annonce surtout le retour du roi à Paris après une courte pause à Compiègne. Des lettres de cachet destinées aux factieux donnent le signal de l’échec cuisant de cette cabale sans lendemain : si certains ont profité de la maladie du souverain pour attester leur fidélité auprès de Mazarin et de Colbert, d’autres sont tombés dans le piège de la précipitation. On n’enterre pas un roi malade. Au demeurant, comme le cardinalministre l’a magnifiquement résumé, cette affaire eut au moins le mérite de faire tomber les masques, à l’instar de la célèbre « Journée des dupes » (10-11 novembre 1630) si favorable finalement, à Richelieu. Et Mazarin d’évoquer dans une lettre cette « maladie des dupes, puisqu’il semble qu’elle ne soit arrivée que pour faire cognoistre les bonnes et les mauvaises intentions de tout le monde. »


Tout est bien qui finit bien : le roi se remet (même s’il a perdu l’essentiel de sa chevelure…), le médecin est récompensé et l’antimoine, tenu pour responsable de cette guérison miraculeuse, va être à nouveau autorisé. La Couronne n’a plus qu’à « communiquer » autour de cet événement qui a permis à Louis-Dieudonné de « ressusciter ». C’est précisément le message diffusé par un bel almanach imprimé en 1659.
Cette gravure célèbre le retour de la santé du roi en le montrant dans son lit de convalescent, entouré par la reine-mère et ses fidèles ministres. Dans la partie supérieure de l’image, un ange venu du ciel apporte une amphore de vin émétique, telle une nouvelle et salutaire onction. La France ressuscitée : ce titre en dit long sur l’assimilation du corps souffrant du roi avec son royaume tout entier, cet épisode médical permettant de consolider les liens entre le monarque et ses sujets à coups de processions, de messes en action de grâce et de Te Deum.


À partir de cet été 1658, la Cour comprend sans doute que le contrôle de l’information, notamment en matière de santé, est un élément crucial. Peu à peu, le pouvoir se personnalise, se concentre, s’installe au sein d’un corps qui quoique sacré reste soumis aux fièvres les plus brutales. Au cours des mois qui suivent, l’idylle du jeune Louis XIV avec la nièce de Mazarin vient rassurer la Couronne espagnole sur l’état de santé du roi : le mariage tant attendu avec l’infante Marie-Thérèse peut avoir lieu, la descendance sera assurée et, enfin, il n’y aura plus de Pyrénées…

Stanis Perez, MSH Paris-Nord

 

Lire la première partie de l'article.