7 juillet 1658 : la fausse mort du roi #1

Par Stanis Perez

Au cours de l’été 1658, on annonce dans Paris que le jeune Louis XIV (alors âgé de 19 ans) a succombé à une fièvre particulièrement virulente. Les regards se tournent alors vers son frère, Philippe, et une nouvelle régence semble imminente. Mais, en réalité, le roi n’est pas mort. Retour sur cette « maladie des dupes » trop peu connue.

Le Journal de santé de Louis XIV nous renseigne avec précision sur les circonstances de cette maladie. Près de Dunkerque, le souverain pourchasse les Anglais et prend position dans le fort de Mardyck, récemment déserté par l’ennemi. Là, c’est un spectacle de désolation : « Sa Majesté souffrait beaucoup à cause des incommodités du lieu, de la corruption de l’air, de l’infection des eaux, du grand nombre de malades, de plusieurs corps morts sur la place, et de mille autres circonstances […]. » C’est dans ce lieu insalubre que, quelques jours plus tard, Louis se sent mal.

Le 29 juin 1658, il se plaint d’une « chaleur extraordinaire » accompagnée de lassitude et d’une violente douleur à la tête. La fièvre s’est déclenchée et elle résiste au lavement thérapeutique ordonné par le premier médecin, Antoine Vallot. Les saignées se succèdent, en vertu du principe selon lequel le corps, pour se défendre contre la maladie, doit être déchargé de ses humeurs vagabondes qui provoquent les maladies. Mais rien n’y fait, Louis XIV souffre de plus en plus, il n’arrive pas à se désaltérer et il commence à délirer, un symptôme pour le moins inquiétant. Dans l’entourage du roi, on commence à redouter une issue fatale, les traitements des archiatres (les médecins personnels du roi) affaiblissant encore davantage le malade. Sentant sa fin proche, ce dernier demande à communier le 6 juillet. Les saignées se succèdent, au bras ou au pied, dans l’espoir de détourner de la tête cette chaleur qui devient insupportable.

Bien entendu, la médecine du Grand Siècle ignore tout de la typhoïde, la maladie infectieuse que le roi vient en fait de contracter dans le cloaque de Mardyck. Cette pathologie, rendue tristement célèbre lors de la Première Guerre mondiale, est très répandue dans les lieux de promiscuité, les poux et les puces pullulant sur des corps rarement lavés. Quand le roi est malade, c’est toute la cour qui défaille. Nous sommes en 1658, la Fronde n’est pas très loin et le gouvernement bicéphale Mazarin-Anne d’Autriche est loin de faire l’unanimité. Chacun attend son heure, un accident, un empoisonnement ou une autre circonstance imprévue pouvant rebattre les cartes d’un jeu jamais terminé. Précisément, cette maladie va faire le jeu de certains factieux qui vont profiter de l’absence du roi et surtout de son état désespéré pour tenter sinon un véritable coup d’État tout au moins une nouvelle insurrection anti-Mazarin. Et rien n’est simple dans cette affaire puisque, même du côté des médecins, une trahison est possible.

Guy Patin, célèbre doyen de la faculté et épistolier hors pair, s’était opposé au médecin du frère du roi qui préconise, en toute impunité, un remède tenu alors pour hautement toxique : le vin émétique.


En somme, il serait facile d’empoisonner le monarque, de tenir la maladie pour responsable et d’organiser un nouveau sacre en faveur de Philippe V… Toutefois, Patin omet de dire que si l’émétique est officiellement un poison, les médecins attitrés du roi rechignent à employer une substance aussi dangereuse : ils tremblent autant pour la vie de leur illustre patient que pour leur charge prestigieuse à la cour ! En fait, la solution trouvée va satisfaire tout le monde : un obscur médecin d’Abbeville va se charger de donner le vin émétique au souverain, c’est donc lui qui servira de paratonnerre en cas d’échec. Ainsi, après le feu vert de Mazarin, on prépare le mélange de vin, de plantes variées et de limaille d’antimoine, un métal proche du plomb qu’on va laisser infuser plusieurs heures. Le résultat obtenu est un puissant purgatif dont l’amertume et la saveur métallique provoquent des vomissements violents. La logique médicale est respectée, il faut débarrasser le corps de ce qui le gêne.

 

Bientôt la suite...

Stanis Perez, Maison des Sciences de l'Homme, Paris-Nord